Vieux de la vieille de Théophile Gautier — Poéme

Par l’ennui chassé de ma chambre, J’errais le long du boulevard : Il faisait un temps de décembre. Vent froid, fine pluie et brouillard ; Et là je vis, spectacle étrange, Échappés du sombre séjour, Sous la bruine et dans la fange, Passer des spectres en plein jour. Pourtant c’est la nuit que les ombres, […]

Symphonie en blanc majeur de Théophile Gautier — Poéme

De leur col blanc courbant les lignes, On voit dans les contes du Nord, Sur le vieux Rhin, des femmes-cygnes Nager en chantant près du bord, Ou, suspendant à quelque branche Le plumage qui les revêt, Faire luire leur peau plus blanche Que la neige de leur duvet. s De ces femmes il en est […]

Tristesse en mer de Théophile Gautier — Poéme

Les mouettes volent et jouent ; Et les blancs coursiers de la mer, Cabrés sur les vagues, secouent Leurs crins échevelés dans l’air. Le jour tombe ; une fine pluie Éteint les fournaises du soir, Et le steam-boat crachant la suie Rabat son long panache noir. Plus pâle que le ciel livide Je vais au […]

Rondalla de Théophile Gautier — Poéme

Enfant aux airs d’impératrice, Colombe aux regards de faucon, Tu me hais, mais c’est mon caprice, De me planter sous ton balcon. Là, je veux, le pied sur la borne, Pinçant les nerfs, tapant le bois. Faire luire à ton carreau morne Ta lampe et ton front à la fois. Je défends à toute guitare […]

Sur les lagunes de Théophile Gautier — Poéme

Tra la, tra la, la, la, la laire ! Qui ne connaît pas ce motif ? A nos mamans il a su plaire. Tendre et gai, moqueur et plaintif : L’air du Carnaval de Venise, Sur les canaux jadis chanté Et qu’un soupir de folle brise Dans le ballet a transporté ! II me semble, […]

Premier sourire du printemps de Théophile Gautier — Poéme

Tandis qu’à leurs ouvres perverses Les hommes courent haletants, Mars qui rit, malgré les averses, Prépare en secret le printemps. Pour les petites pâquerettes, Sournoisement lorsque tout dort, Il repasse des collerettes Et cisèle des boutons d’or. Dans le verger et dans la vigne, Il s’en va, furtif perruquier, Avec une houppe de cygne, Poudrer […]

Portail de Théophile Gautier — Poéme

Ne trouve pas étrange, homme du monde, artiste, Qui que tu sois, de voir par un portail si triste S’ouvrir fatalement ce volume nouveau. Hélas ! tout monument qui dresse au ciel son faîte Enfonce autant les pieds qu’il élève la tête. Avant de s’élancer, tout clocher est caveau : En bas, […]

Orientation bibliographique de Théophile Gautier

Diverses notices me font naître à Tarbes, le 31 août 1808. Cela n’a rien d’important, mais la vérité est que je suis venu au monde où je devais faire tant de copie, le 31 août 1811… – Ses ascendants proviennent de tous les coins de France. Pierre-Julcs-Théophile aura deux sours cadettes qui ne le lâcheront […]

Plaintive tourterelle de Théophile Gautier — Poéme

Plaintive tourterelle, Qui roucoules toujours, Veux-tu prêter ton aile Pour servir mes amours ! Comme toi, pauvre amante, Bien loin de mon ramier Je pleure et me lamente Sans pouvoir l’oublier. Vole, et que ton pied rose Sur l’arbre ou sur la tour Jamais ne se repose, Car je languis d’amour ; Évite, ô ma […]

odelette anacrêontique de Théophile Gautier — Poéme

Pour que je t’aime, ô mon poète, Ne fais pas fuir par trop d’ardeur Mon amour, colombe inquiète, Au ciel rose de la pudeur. L’oiseau qui marche dans l’allée S’effraye et part au moindre bruit ; Ma passion est chose ailée Et s’envole quand on la suit. Muet comme l’Hermès de marbre, Sous la charmille […]

L’obélisque de paris de Théophile Gautier — Poéme

Sur cette place je m’ennuie, Obélisque dépareillé ; Neige, givre, bruine et pluie Glacent mon liane déjà rouillé ; Et ma vieille aiguille, rougie Aux fournaises d’un ciel de feu, Prend des pâleurs de nostalgie Dans cet air qui n’est jamais bleu. s Devant les colosses moroses Et les pylônes de Luxor, Près de mon […]

NoËl de Théophile Gautier — Poéme

Le ciel est noir, la terre est blanche ; – Cloches, carillonnez gaîment ! – Jésus est né ; – la Vierge penche Sur lui son visage charmant. Pas de courtines’ festonnées Pour préserver l’enfant du froid ; Rien que les toiles d’araignées Qui pendent des poutres du toit. S II tremble sur la paille […]

L’INSURRECTION MAJEURE

  par François Boddaert Mes vers sont des tombeaux Unit brodés de sculptures Ils cachent un cadavre… La Comédie de la Mon Le 9 mars 1867, dans sa tentative autobiographique de L’Illustration, Théophile Gautier raconte:   La mort est amère A qui vécut trop doucement. Théophile Gautier incarne le Romantisme absolu – cette posture existentielle […]

L’obélisque de luxor de Théophile Gautier — Poéme

Je veille, unique sentinelle De ce grand palais dévasté, Dans la solitude éternelle, En face de l’immensité. A l’horizon que rien ne borne, Stérile, muet, infini, Le désert sous le soleil morne. Déroule son linceul jauni. Au-dessus de la terre nue, Le ciel, autre désert d’azur. Où jamais ne flotte une nue, S’étale implacablement pur. […]

Les néréides de Théophile Gautier — Poéme

J’ai dans ma chambre une aquarelle Bizarre, et d’un peintre avec qui Mètre et rime sont en querelle, – Théophile Kniatowski. Sur l’écume blanche qui frange Le manteau glauque de la mer Se groupent en bouquet étrange Trois nymphes, fleurs du gouffre amer*. Comme des lis noyés, la houle Fait dans sa volute d’argent Danser […]

Lied de Théophile Gautier — Poéme

Au mois d’avril, la terre est rose, Comme la jeunesse et l’amour ; Pucelle encore, à peine elle ose Payer le Printemps de retour. Au mois de juin, déjà plus pâle Et le cour de désir troublé, Avec l’Été tout brun de hàle Elle se cache dans le blé. Au mois d’août, […]

Les joyeusetés du trépas de Théophile Gautier — Poéme

De son destrier qui se cabre Il jette à bas le chevalier, Qu’il pousse à la danse macabre En retournant le sablier ; Avec un crâne joue aux quilles Aux tonnelles des cabarets ; Du boiteux casse les béquilles, Du coureur coupe les jarrets ; Pour modèle offrant son squelette, J Pose en […]

Les matelots de Théophile Gautier — Poéme

Sur l’eau bleue et profonde Nous allons voyageant, Environnant le monde D’un sillage d’argent, Des îles de la Sonde, De l’Inde au ciel brûlé, Jusqu’au pôle gelé… Les petites étoiles Montrent de leur doigt d’or De quel côté les voiles Doivent prendre l’essor ; Sur nos ailes de toiles, Comme de blancs oiseaux, […]

Les joujoux de la morte de Théophile Gautier — Poéme

La petite Marie est morte, Et son cercueil est si peu long Qu’il tient sous le bras qui l’emporte Comme un étui de violon. Sur le tapis et sur la table Traîne l’héritage enfantin. Les bras ballants, l’air lamentable. Tout affaissé gît le pantin. Et si la poupée est plus ferme, C’est […]

Le souper des armures de Théophile Gautier — Poéme

Biorn, étrange cénobite’, Sur le plateau d’un roc pelé, Hors du temps et du monde, habite La tour d’un burg démantelé. De sa porte l’esprit moderne En vain soulève le marteau. Biorn verrouille sa poterne Et barricade son château. S Quand tous ont les yeux vers l’aurore, Biorn, sur son donjon perché, A l’horizon contemple […]

Les affres de la mort de Théophile Gautier — Poéme

O toi qui passes par ce cloître, Songe à la mort ! – Tu n’es pas sûr De voir s’allonger et décroître, Une autre fois, ton ombre au mur. Frère, peut-être cette dalle Qu’aujourd’hui, sans songer aux morts, Tu soufflettes de ta sandale, Demain pèsera sur ton corps ! La vie est […]

Les accroche-cOurs de Théophile Gautier — Poéme

Ravivant les langueurs nacrées De tes yeux battus et vainqueurs, En mèches de parfum lustrées Se courbent deux accroche-cours. A voir s’arrondir sur tes joues Leurs orbes tournés par tes doigts, On dirait les petites roues Du char de Mab fait d’une noix ; s Ou l’arc de l’Amour dont les pointes. Pour une flèche […]

Le merle de Théophile Gautier — Poéme

Un oiseau siffle dans les branches Et sautille gai, plein d’espoir, Sur les herbes, de givre blanches, En bottes jaunes, en frac noir. C’est un merle, chanteur crédule, Ignorant du calendrier, Qui rêve soleil, et module L’hymne d’avril en février. S Pourtant il vente, il pleut à verse ; L’Arve jaunit le Rhône bleu, Et […]

Le monde est méchant de Théophile Gautier — Poéme

Le monde est méchant, ma petite : Avec son sourire moqueur Il dit qu’à ton côté palpite Une montre en place de cour. – Pourtant ton sein ému s’élève Et s’abaisse comme la mer, Aux bouillonnements de la sève Circulant sous ta jeune chair. Le monde est méchant, ma petite : Il dit que tes […]

Le glas interieur de Théophile Gautier — Poéme

Comme autrefois pâle et serein Je vis, du moins on peut le croire. Car sous ma redingote noire J’ai boutonné mon noir chagrin. Sans qu’un mot de mes lèvres sorte. Ma peine en moi pleure tout bas ; Et toujours sonne comme un glas Cette phrase : Ta mère est morte ! Au […]

L’art de Théophile Gautier — Poéme

Oui, l’ouvre sort plus belle D’une forme au travail Rebelle, Vers, marbre, onyx, émail. Point de contraintes fausses ! Mais que pour marcher droit Tu chausses, Muse, un cothurne étroit’. Fi du rhythme commode Comme un soulier trop grand, Du mode Que tout pied quitte et prend ! Statuaire, repousse L’argile que pétrit Le pouce, […]

L’aveugle de Théophile Gautier — Poéme

Un aveugle au coin d’une borne, Hagard comme au jour un hibou, Sur son flageolet, d’un air morne, Tâtonne en se trompant de trou, Et joue un ancien vaudeville Qu’il fausse imperturbablement ; Son chien le conduit par la ville, Spectre diurne à l’oil dormant. Les jours sur lui passent sans luire […]

Le château du souvenir de Théophile Gautier — Poéme

La main au Iront, le pied dans l’âtre, Je songe et cherche à revenir, Par delà le passé grisâtre, Au vieux château du Souvenir. Une gaze de brume estompe Arbres, maisons, plaines, coteaux, Et l’oil au carrefour qui trompe En vain consulte les poteaux. J’avance parmi les décombres De tout un monde enseveli, Dans le […]

Lacenaire de Théophile Gautier — Poéme

Pour contraste, la main coupée De Lacenaire l’assassin. Dans des baumes puissants trempée. Posait auprès, sur un coussin. Curiosité dépravée ! J’ai touché, malgré mes dégoûts. Du supplice encor mal lavée. Cette chair froide au duvet roux. Momifiée et toute jaune Comme la main d’un Pharaon. Elle allonge ses doigts de faune […]

La vie dans la mort de Théophile Gautier — Poéme

C’était le Jour des Morts : une froide bruine Au bord du ciel rayé, comme une trame fine, Tendait ses filets gris ; Un vent de nord sifflait ; quelques feuilles rouillées Quittaient en frissonnant les cimes dépouillées Des ormes rabougris ; Et chacun s’en allait dans le grand cimetière, Morne, s’agenouiller sur le […]

La source de Théophile Gautier — Poéme

Tout prés du lac’ filtre une source, Entre deux pierres, dans un coin ; Allègrement l’eau prend sa course Comme pour s’en aller bien loin. Elle murmure : Oh ! quelle joie ! Sous la terre il faisait si noir ! Maintenant ma rive verdoie, Le ciel se mire à mon miroir. Les myosotis aux […]

La tête de mort de Théophile Gautier — Poéme

Personne ne voulait aller dans cette chambre, Surtout pendant les nuits si tristes de décembre, Quand la bise gémit et pousse des sanglots, Et que du ciel obscur tombe la pluie à flots. Car c’était une chambre antique, inhabitée, A minuit, disait-on, de revenants hantée, Une chambre où les ais du parquet désuni S’agitent […]

La nue de Théophile Gautier — Poéme

A l’horizon monte une nue, Sculptant sa forme dans l’azur : On dirait une vierge nue Émergeant d’un lac au flot pur. Debout dans sa conque nacrée, Elle vogue sur le bleu clair, Comme une Aphrodite éthérée, Faite de l’écume de l’air. On voit onder en molles poses Son torse au contour incertain, Et l’aurore […]

La rose-thé de Théophile Gautier — Poéme

La plus délicate des roses Est, à coup sûr, la rose-thé. Son bouton aux feuilles mi-closes De carmin à peine est teinté. On dirait une rose blanche Qu’aurait fait rougir de pudeur, En la lutinant sur la branche, Un papillon trop plein d’ardeur. s Son tissu rose et diaphane De la chair a le velouté […]

La montre de Théophile Gautier — Poéme

Deux fois je regarde ma montre, Et deux fois à mes yeux distraits L’aiguille au même endroit se montre ; Il est une heure… une heure après. La figure de la pendule En rit dans le salon voisin, Et le timbre d’argent module Deux coups vibrant comme un tocsin. Le cadran solaire me raille En […]

La mort dans la vie de Théophile Gautier — Poéme

La Mort est multiforme, elle change de masque Ht d’habit plus souvent qu’une actrice fantasque ; Elle sait se farder. Et ce n’est pas toujours cette maigre carcasse. Qui vous montre les dents et vous fait la grimace Horrible à regarder. Ses sujets ne sont pas tous dans le cimetière. Ils ne dorment pas […]

La fontaine du cimetière de Théophile Gautier — Poéme

A la morne chartreuse, entre des murs de pierre, En place du jardin Ton voit un cimetière, Un cimetière nu comme un sillon fauché, Sans croix, sans monument, sans terre qui se hausse : L’oubli couvre le nom, l’herbe couvre la fosse ; La mère ignorerait où son fils est couché. Les végétations […]

La mansarde de Théophile Gautier — Poéme

Sur les tuiles où se hasarde Le chat guettant l’oiseau qui boit, De mon balcon une mansarde Entre deux tuyaux s’aperçoit. Pour la parer d’un faux bien-être. Si je mentais comme un auteur, Je pourrais faire à sa fenêtre Un cadre de pois de senteur, Et vous y montrer Rigolette Riant à son petit miroir, […]

La fellah de Théophile Gautier — Poéme

Caprice d’un pinceau fantasque Et d’un impérial loisir, Votre fellah, sphinx qui se masque, Propose une énigme au désir. C’est une mode bien austère Que ce masque et cet habit long, Elle intrigue par son mystère Tous les Odipes du salon. L’antique Isis légua son voile Aux modernes filles du Nil ; Mais, sous le […]

La fleur qui fait le printemps de Théophile Gautier — Poéme

Les marronniers de la terrasse Vont bientôt fleurir, à Saint-Jean, La villa d’où la vue embrasse Tant de monts bleus coiffés d’argent. La feuille, hier encor pliée Dans son étroit corset d’hiver, Met sur la branche déliée Les premières touches de vert. s Mais en vain le soleil excite La sève des rameaux trop lents […]