O toi qui passes par ce cloître, 
Songe à la mort ! – 
Tu n’es pas sûr 
De voir s’allonger et décroître, 
Une autre fois, ton ombre au mur.
Frère, peut-être cette dalle 
Qu’aujourd’hui, sans songer aux morts, 
Tu soufflettes de ta sandale, 
Demain pèsera sur ton corps !
La vie est un plancher qui couvre 
L’abîme de l’éternité : 
Une trappe soudain s’entr’ouvre 
Sous le pécheur épouvanté ;
Le pied lui manque, il tombe, il glisse ! 
Que va-t-il trouver ? le ciel bleu, 
Ou l’enfer rouge ? le supplice, 
Ou la palme ? 
Satan, ou 
Dieu ?.,.
Souvent sur cette idée affreuse 
Fixe ton esprit éperdu : 
Le teint jaune et la peau terreuse, 
Vois-toi sur un lit étendu ;
Vois-toi brûlé, transi de fièvre, 
Tordu comme un bois vert au feu. 
Le fiel crevé, l’âme à la lèvre. 
Sanglotant le suprême adieu.
Fntre deux draps, dont l’un doit être 
Le linceul où l’on te coudra, 
Triste habit que nul ne veut mettre, 
Et que pourtant chacun mettra.
Représente-toi bien l’angoisse 
De ta chair flairant le tombeau, 
Tes pieds crispés, ta main qui froisse 
Tes couvertures en lambeau.
En pensée, écoute le râle, 
Bramant comme un cerf aux abois, 
Pousser sa note sépulcrale 
Par ton gosier rauque et sans voix.
Le sang quitte tes jambes roides, 
Les ombres gagnent ton cerveau, 
Et sur ton front les perles froides 
Coulent comme aux murs d’un caveau.
Les prêtres à soutane noire. 
Toujours en deuil de nos péchés. 
Apportent l’huile et le ciboire, 
Autour de ton grabat penchés.
Tes enfants, ta femme et tes proches 
Pleurent en se tordant les bras. 
Et déjà le sonneur aux cloches 
Se suspend pour sonner ton glas.
Le fossoyeur a pris sa bêche 
Pour te creuser ton dernier lit, 
Et d’une terre brune et fraîche 
Bientôt ta fosse se remplit.
Ta chair délicate et superbe 
Va servir de pâture aux vers, 
Et tu feras pousser de l’herbe 
Plus drue avec des brins plus verts.
Donc, pour n’être pas surpris, frère, 
Aux transes du dernier moment, 
Réfléchis ! – 
La mort est amère 
A qui vécut trop doucement.
Sur ce, frère, que 
Dieu t’accorde 
De trépasser en bon chrétien, 
Et te fasse miséricorde ; 
Ici-bas, nul ne peut plus rien !
			  
        
          
                        
		
				
  
  
  
  
  
  
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Théophile Gautier – The Poetry Monster

Théophile Gautier (1811-1872) était un écrivain, poète et critique d’art français du 19e siècle. Il est surtout connu pour ses écrits sur le mouvement romantique et son influence sur la littérature française. Ses œuvres les plus célèbres incluent “Mademoiselle de Maupin” et ses poèmes tels que “La Comédie de la Mort”.
